La description de la venue de l’Esprit-Saint sur les apôtres le jour de Pentecôte est si enlevée qu’on se laisse captiver par le récit au risque de ne pas voir certaines choses. L’une d’entre elles se rencontre pourtant dès la première ligne : « Ils se trouvaient réunis tous ensemble. » Le détail n’est pas insignifiant. Dès sa première manifestation, l’évènement de la venue de l’Esprit se produit au sein de l’Eglise naissante, au cœur de la communion fraternelle. Cette communion représentée ici par le groupe des apôtres, mais qui compte aussi des femmes, dont Marie la mère de Jésus. Cent vingt personnes au total, que le récit nous montre assidues à la prière et à la fraction du pain.
Parmi les raisons qui conduisent à parler de l’Esprit-Saint dans son lien spécial à la communion fraternelle, la plus évidente est bien celle-là. Comme les premiers disciples, nous ne faisons l’expérience de l’Esprit que dans l’Eglise. Que nous en soyons conscients ou pas ! Depuis le baptême où nous avons reçu l’Esprit-Saint pour la première fois, nous sommes insérés dans le grand corps ecclésial dont le Saint-Esprit est l’âme. Nous sommes dès lors partie prenante de la communion ecclésiale. L’Eglise est le lieu où nous continuons à recevoir l’Esprit.
Cette vérité apparaît de façon évidente dans les Actes des Apôtres. Si l’on excepte saint Jean, il est en effet relativement peu question de l’Esprit dans les autres évangiles. En revanche, tout change dans les Actes et chez St Paul. On y retrouve l’Esprit à chaque page, car il accompagne pas à pas le développement de la nouvelle communauté. Jésus avait plusieurs fois fait allusion à la nécessité pour lui de retourner vers le Père afin qu’il puisse nous envoyer son Esprit. Or depuis le moment où, sur la Croix, il a rendu son dernier souffle, il a aussi « livré l’Esprit ». Dans la vie de la première communauté chrétienne, c’est cela que nous voyons : l’accomplissement de la promesse, prophétique aussi bien que christique : « J’ai répandu mon Esprit sur toute chair »…
Il suffit de parcourir les Actes pour s’apercevoir que l’Esprit est présent au sein de la communauté des croyants avec une fréquence et une intensité particulières. Cela n’a rien d’étonnant, car il est l’Esprit de la communion. L’action de l’Esprit-Saint est directement ordonnée à l’unité du corps ecclésial : « C’est dans un seul Esprit que nous avons été baptisés pour ne former qu’un seul corps. » Ce corps, c’est le corps du Christ, c’est l’Eglise. Cet Esprit, c’est l’Esprit du Christ. De même que notre âme unifie tout l’organisme de notre corps, de même l’Esprit-Saint est l’âme du corps du Christ qu’il rassemble dans l’unité.
Si l’on cherche à comprendre comment l’Esprit-Saint œuvre à l’unité dans l’Eglise, on s’aperçoit qu’il le fait d’une double façon. On ne pense pas assez à la première : l’Esprit-Saint réalise cette unité par la diversité des vocations et de dons qui structurent le corps ecclésial et lui donne sa forme. St Paul le dit très bien : « Les fonctions dans l’Eglise sont variées, mais c’est toujours le même Esprit ». Il dit cela pour souligner que, dans la communion, les vocations personnelles - qu’on appelle aussi des charismes - sont soumises à la régulation des ministres qui sont en charge de l’autorité - ils ont pour cela un charisme ministériel. La chose est aussi importante aujourd’hui qu’au temps de St Paul, car c’est précisément cette architecture hiérarchique qui permet à l’organisme de vivre et d’agir comme un tout bien équilibré. Sans quoi, au lieu de la communion, nous n’aurions que désordre. Des charismes individuels qui se dresseraient contre cette harmonie de l’ensemble ne viendraient certainement pas de l’Esprit. La foisonnante diversité des vocations dans l’Eglise ne porte en rien atteinte à l’unité, car l’Esprit ne peut pas agir contre lui-même. C’est l’unique Esprit qui opère tout cela. Diversement selon la place différente de chaque membre dans le corps, bien sûr ! Personne dans ce corps ne peut agir égoïstement pour son bien personnel, car « chacun reçoit le don de manifester l’Esprit en vue du bien de tous ».
Quant à la seconde façon dont l’Esprit accomplit son œuvre d’unité, c’est évidemment par l’amour qu’il a répandu dans nos cœurs. Cela est capital. Si l’on rattache à l’Esprit la charité qui rassemble dans l’unité la communion fraternelle de l’Eglise, c’est que déjà dans la Trinité sainte il est le lien, le nœud d’amour entre le Père et le Fils. Son action parmi nous reprend et renforce le mouvement de l’amour qui réunit déjà les êtres qui s’aiment. Mais il ne laisse pas cet élan spontané à son niveau purement naturel. Son opération surélève cette communion première des cœurs et des esprits à un niveau proprement surnaturel, car il prolonge parmi nous son action au sein de la Trinité. Dieu nous aime et nous fait nous aimer les uns les autres de l’amour incréé dont il s’aime lui-même.
Cela paraît inouï - et çà l’est effectivement ! -, mais grâce à l’Esprit-Saint, la communion ecclésiale est un reflet sur terre de la communion trinitaire. Pâle réplique certes ! Réplique aux dimensions désespérément humaines et terrestres, fragile et menacée par toutes nos faiblesses et nos péchés, minée par notre manque d’amour…Mais c’est pourtant ce qu’elle est en profondeur : la grâce du mystère ineffable qui nous dépasse de toutes parts et que nous avons pourtant à vivre. Car, comme toujours, le don s’accompagne d’une tâche. La réussite du dessein divin dépend en partie de nous ; il nous incombe de vivre plus profondément chaque jour de cet Esprit qui nous a été donné : « Puisque l’Esprit est notre vie, que l’Esprit nous fasse aussi agir ! » Amen.