La messe de ce dimanche est une véritable messe pascale. Nous nous rendons parfaitement compte, aujourd’hui, que l’avant-messe appartient à la messe proprement dite. Les pensées de l’avant-messe sont, à proprement parler, un exposé de ce qui se passe mystérieusement dans l’action du sacrifice : l’actualisation de l’œuvre rédemptrice et son application à nos âmes.
L’Évangile est une image de la sainte messe. Le dimanche, il y a aussi « beaucoup de peuple (chrétiens) auprès de Jésus » ; ce peuple est rassemblé dans l’église. Jésus prêche comme autrefois ; il nous parle dans l’Épître, dans l’Évangile, au sermon. Il dit encore : « J’ai pitié de la foule ». La semaine est longue. « Je ne veux pas les renvoyer à jeun de peur qu’ils ne succombent sur la route (de la vie) ». Aussi, il nourrit notre âme du pain de vie. Il est vrai qu’il ne multiplie pas le pain, mais il change le pain en son corps, ce qui est beaucoup mieux !
La magnifique Épître renouvelle notre bonheur pascal. Par le baptême, nous avons été « greffés sur le Christ par la ressemblance de sa mort », « nous avons été ensevelis avec lui en sa mort ». Nous sommes devenus des hommes nouveaux et nous devons marcher dans une vie nouvelle ». « Nous sommes morts au péché ; ne vivons plus que pour Dieu, dans le Christ Jésus ». Tout ce bonheur pascal, l’Eucharistie doit aujourd’hui le faire revivre en nous.
L’oraison nous présente une véritable méditation. Dieu doit être mon tout, le commencement, le progrès et la fin. Il est le bon jardinier du jardin de mon âme : il y « sème » l’amour divin, il fait « croître » la vie spirituelle, il « entretient » les plantes des vertus, il sarcle les mauvaises herbes, il arrose, il « protège » les plantes contre les ennemis. Dieu est à la fois le semeur de la vie divine, le soleil qui la fait germer et croître, le jardinier qui la cultive et la protège.
L’Offertoire est un cantique de procession. Nous portons nos offrandes à l’autel ; cette démarche est le symbole du voyage de notre vie.
Saint Paul, dans l’Epître a devant les yeux l’idéal du chrétien. Ce serait un paradis sur terre si, de fait, nous n’étions plus soumis au péché. Mais, en réalité, il en est autrement. Sans doute le péché a été pardonné, le péché a été effacé, mais nous n’avons pas retrouvé les privilèges du paradis terrestre. Adam pouvait facilement éviter le péché, car il n’avait pas de tendance mauvaise vers le péché ; il était libre de la concupiscence de la chair. Mais nous, nous ne sommes pas dans l’état d’Adam avant le péché originel. Si le péché est effacé, l’inclination au mal demeure. Cette inclination nous entraîne sans cesse au péché et nous fait gémir sous le poids de nos faiblesses et de nos passions.
Dans l’Évangile, le Christ nous dit : Même en tant que rachetés, vous pouvez succomber en route ; c’est pourquoi je vous donne un pain pour traverser le désert de votre pèlerinage : la Sainte Eucharistie. L’Eucharistie suppose ce double état en nous. Nous sommes rachetés, et l’Eucharistie complète le baptême ; mais nous sommes soumis à la faiblesse, c’est pourquoi nous avons besoin du pain de vie dans le désert de la vie. Voilà comment se termine le drame de l’avant-messe.
Avec la conscience de ces vérités, nous célébrons le Saint-Sacrifice. Ce sont deux âmes qui vont à l’Offrande. L’âme non rachetée fait cette prière : « Dirige mes pas sur tes sentiers afin que mes pieds ne s’égarent pas ». L’âme rachetée souhaite davantage : « Montre les merveilles de ta miséricorde ; tu sauves tous ceux qui ont confiance en toi ». Il en est ainsi, d’ailleurs, dans la réalité. Dans le Saint-Sacrifice, le Seigneur nous montre les merveilles de sa miséricorde. Sur l’autel se tient le divin Agneau immolé et glorifié. Nous sommes élevés par lui et nous avons le droit de nous appeler son peuple saint. Mais, quand nous nous préparons à recevoir le pain de vie, nous nous rendons compte de nouveau des misères et des maux de notre âme et nous en demandons la délivrance. « Seigneur, je ne suis pas digne », s’écrie l’âme non rachetée. « Mais dis seulement une parole et mon âme sera guérie », tel est l’accent joyeux de l’âme rachetée. Et ainsi nous recevons le pain du désert de la vie qui nous « purifie et nous protège », qui nous donne la force de ne pas succomber en route.
Nous voyons donc, dans cette messe, une alternance de supplications dictées par le besoin de Rédemption et d’accents joyeux inspirés par la certitude de la Rédemption. Où se trouve la solution ? Nous sommes, certes, des hommes rachetés, mais nous portons notre trésor dans des vases fragiles. Saint Paul est pour nous le plus bel exemple. Quand il pense à ses péchés, il est abattu, il sent qu’il n’est pas digne d’être le dernier des Apôtres. Mais cela n’est que le Kyrie ; le Gloria vient ensuite. Alors son âme rachetée s’élève à la certitude joyeuse de sa vocation. Alors, il s’écrie dans son allégresse : Je puis tout en celui qui me fortifie. L’âme non rachetée nous garde petits et humbles. L’âme rachetée nous donne la joie, la force et la victoire. Amen