Aujourd’hui, mes bien-aimés, nous célébrons dans la joie unique de cette solennité, la fête de tous les Saints : le ciel exulte de leur assemblée, la terre jouit de leur patronage, la Sainte Eglise est couronnée de leurs triomphes. » (St Bède le Vénérable, Sermon 18, des Saints)
Voici comme les préparatifs de la fête : chaque jour le martyrologe peut apporter sa liste impressionnante d’âmes fidèles, qui ont trouvé à se sanctifier dans tous les lieux, dans tous les âges, dans toutes les conditions ; chaque jour nos plus profanes calendriers ont beau nous présenter un nom plus ou moins connu de ces saints choisis au hasard dans le lot des serviteurs de Dieu, quand arrive la Toussaint, on a un peu l’impression qu’on va assister à la revue des troupes célestes. Et ne serait-ce pas d’ailleurs quelque chose de ce genre ?
Au ciel est leur puissante assemblée : c’est le lieu de leur regroupement. Mais la terre qui les a vus passer sait que leurs longues colonnes la parcourront encore à travers tous les lieux où ses habitants tissent le réseau de leurs prières et de leur vénération. Quant à l’Eglise qui fut le camp retranché où ils firent leurs armes, elle reçoit la gloire de leurs triomphes.
Fixons-la, pour le moment, cette Eglise dans laquelle à notre tour, nous apprenons à servir Dieu et sa cause. Elle demeure, en effet, le terrain privilégié sur lequel nous nous entraînons à la lutte en y conservant le souvenir durable de nos devanciers.
« O vraiment bienheureuse mère Eglise, qu’illumine l’honneur de la complaisance divine, qu’orne le sang glorieux des Martyrs vainqueurs, que revêt la blanche parure des Vierges à la fidélité inviolée. »
Tout vient de Dieu, et tout doit concourir à l’honorer :
- le choix de son Eglise qui est l’objet de sa complaisance, comme son Fils dont il proclamait dans les eaux du Jourdain, aussi bien que dans la lumière du mont Thabor ‘celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis ma complaisance, écoutez-le !’ Et le Fils bien-aimé dira à son tour de son Eglise : ‘Qui vous écoute m’écoute ; qui vous méprise me méprise moi-même’.
-la force des combattants qui vont jusqu’à l’offrande du sang, et s’ils ont semblé périr, personne ne s’y trompa : pas plus que les bourreaux qui avaient cédé à leur fureur que leurs frères chrétiens qui chantaient leur victoire.
-la fidélité de ceux qui paraissent les plus frêles et les plus exposés : ces vierges que l’Eglise a toujours tenu à désigner comme sa parure étonnante, aux ennemis acharnés à en ternir l’éclat, et à ses fils lâches parfois jusqu’à la désertion.
« A ses fleurs ne manquent ni les roses, ni les lis » En la rose s’épanouit l’amour généreux et vaillant. Dans les lis éclate la tendresse du don et sa réserve exclusive. Nous pourrions nous croire arrivés dans le domaine de la poésie, ou d’une mystique quelque peu raffinée, et pourtant, notre Docteur va nous contraindre à ne pas échapper à ses subtiles remarques et considérations !
« Maintenant, très chers, que tous combattent afin de recevoir la très considérable dignité de ces deux titres d’honneur : les couronnes blanches de la virginité ou les couronnes pourpres du martyre. » Ainsi nous est marquée avec évidence l’issue du combat des saints (que nous avons à poursuivre) : inspiré par un amour vaillant, il se voit gratifié de roses, par une réserve tendre et sans défaillance il récolte les lis. Et quiconque veut bien réfléchir et quiconque possède quelque sens de Dieu n’échappera pas à ce choix rigoureux. Le grand malheur qui s’abat sur nous consiste à ne pas tenir un compte attentif de la volonté du Seigneur. Nous organisons facilement notre vie spirituelle de manière à ce qu’elle n’entrave pas trop notre fantaisie. Mais alors nous oublions notre destinée, notre vocation. St Paul la rappelle fermement et comme brutalement dans son épître aux Philippiens (23ème dim après Pent.) : « Il y en a beaucoup qui marchent en ennemi de la Croix du Christ. Leur fin sera la perdition : ils ont pour dieu leur ventre, et leur gloire, ils la mettent dans ce qui fera leur confusion, eux qui savourent les choses de la terre »
Ce détournement des objectifs divins, cette fausse gloire, cette recherche dévoyée, ce mauvais goût, cet alourdissement, voilà le tragique contre-pied du choix des saints. La seule question à se poser en ce jour : voudrons-nous nous rendre au choix des saints ?
Vous avez eu vos heures difficiles, vos lâchetés et vos abandons : l’amour est plus fort que la mort : les roses de l’amour recouvriront vite vos fronts honteux ou abattus.
Vous avez été fidèles, sans ostentation, sans orgueil, mais fermement, jalousement : la couronne blanche de la virginité du cœur et de l’esprit ceint déjà votre front. Mais vous savez que sa possession ne va pas sans combat et vous pourrez y ajouter quelques roses d’amour ; de même que vous qui avez reçu des coups qui vous ont fait faiblir, vous pourrez, une fois relevé, ajouter aux fleurs empourprées quelques lis d’une fidélité désormais conquise.
« Dans les camps célestes, la paix comme les combats, ont leurs fleurs, pour couronner les soldats du Christ. »
Alors courage, mes frères ! Dans la contemplation de vos frères les saints assurez votre marche, ne craignez rien ou plutôt si, comme le dit une antienne de l’office du jour : « Craignez le Seigneur, car rien ne manque à ceux qui le craignent : voici que les yeux du Seigneur sont sur les justes et ses oreilles attentives à leurs prières » Priez Dieu, priez les Saints et vous saurez que « les souffrances de ce temps ne sont pas comparables à la gloire à venir qui sera manifestée en nous » (Rom 8/18) Fiat ! Qu’ainsi il en soit fait !
(Commentaire du Sermon 18, des Saints, de St Bède le Vénérable, Prêtre)